De l’Ukraine à l’Egypte en passant par Bordeaux, du post-punk à la no-wave, Anywave découvre des artistes et groupes au demeurant inconnus. Pour la soirée de clôture de la quatrième édition du Garage MU Festival, ils ont eu carte blanche. Discussion avec Aurélien, co-fondateur du label.
Peux-tu nous présenter l’histoire du label ?
Le label a été fondé en 2001, mais son véritable acte de naissance sous sa forme actuelle date de 2012. Quand nous l’avions fondé avec ma copine de l’époque, on cherchait un support pour sortir nos morceaux respectifs et produire des amis – ce qui est finalement arrivé en 2010 avec le premier EP de Johnny Boy. On s’est jeté à l’eau, même si l’exercice nous était totalement étranger. Le label est retombé en sommeil pendant un an avant la sortie de Onlooker de A V G V S T. Un appel d’air s’est alors produit, des groupes nous ont envoyé des démos, des blogs ont commencé à parler de nous. De fil en aiguille, on s’est retrouvés invités complètement par hasard à Villette Sonique en 2013, aux côtés entre autres du Turc Mécanique et de Cranes Records.
Nous n’avions alors rien à présenter, à part A V G V S T et Johnny Boy – produits deux ans auparavant. On voulait sortir quelque chose pour l’occasion, et on a décidé d’éditer une compilation, la première de la série WAVECORE. La compilation est née sous contrainte et très vite. J’ai mobilisé une poignée de gens que je ne connaissais pas forcément, au culot. Nous avions alors trois semaines pour tout faire : trouver des artistes, produire les morceaux, créer l’artwork, faire les Cds, la sérigraphie… On l’a fait. Pour les compilations suivantes, on a pris beaucoup plus de temps. L’enthousiasme des débuts nous a permis d’attirer du monde, les gens se sont intéressés à notre cas alors que nous n’avions pas encore sorti grand-chose. Alors on a continué.
Combien êtes-vous maintenant ?
Nous sommes quatre avec un noyau dur formé autour de Myriam ainsi qu’Anne-Cécile et de Yann de Rizome Corp qui nous a rejoint en 2013. Après, chacun s’occupe des projets qu’il a envie de défendre. Je ne m’occupe plus qu’exceptionnellement de la promo. Mais lorsqu’on était tous les deux avec Myriam, je m’occupais de tout, y compris de ma propre promo, ce qui est assez gênant. Comment parler de son propre disque de façon détachée ? J’ai essayé de faire semblant, mais on se retrouve vite dans une situation étrange.
J’étais assez volontaire aussi dans les premiers temps pour m’occuper de la production, du mixage, du mastering. J’ai passé un temps fou sur le mixage de certains albums. J’apprenais les bases et c’était parfait pour emmagasiner de la pratique. Mais c’était tellement chronophage que j’ai arrêté. Je continue à faire de la post-production, mais le mixage d’album entier, c’est fini pour moi.
Où en sont tes projets perso ?
Je travaille en permanence sur des objets musicaux mais je ne les sors pas par manque de temps. La grande majorité de mes morceaux sont inachevés. Etant donné que je suis tout seul dans mon projet, j’ai des grands moments de découragement, pendant plusieurs mois je ne vais toucher à rien du tout. Ce sont mes enjeux personnels, et je n’ai personne pour me pousser.
Comment choisissez-vous les artistes avec lesquels vous allez collaborer ?
On essaie de tendre vers un consensus. Si une personne commence à défendre un artiste, c’est qu’il doit y avoir une raison valable. Il n’y a pas de hiatus entre nous, seulement quelques divergences stylistiques. On n’accroche pas tous sur les mêmes choses, c’est normal. Nous avons tous des backgrounds musicaux différents. Myriam écoute entre autre du metal post-hardcore, Yann préfère les musiques improvisées ou les musiques expérimentales et Anne-Cécile écoute davantage d’électro. Pour ma part, je suis un enfant des années 80. On retrouve un peu de tout ça sur Anywave. C’est aussi la raison pour laquelle on sort des compilations : cela nous permet d’explorer plus de territoires. On n’a pas encore fait le tour de tout ce qu’on aimerait faire. A nos débuts, on était très marqués post-punk, des choses assez classiques. A un moment, on a commencé à recevoir des propositions éloignées de cette zone de confort, comme Heather Celeste, qui était beaucoup plus électronique, moins formatée. Puis on a fait The Beautiful schizophonic avec des nappes de guitare pures et dures. C’était un fantasme pour moi de sortir un album d’ambient sur le label.
Les artistes vont contactent maintenant ?
Ça marche dans les deux sens. On a des phases de prospection, on cherche des trucs faits par des mecs et des nanas que personne ne connaît, et on reçoit beaucoup de démos.
Pourquoi ce besoin d’aller chercher des groupes à l’international, est-ce une condition sine qua non du label ?
Nous n’avons pas d’obsession particulière pour la France. Par la force des choses, nous sortons des artistes français, mais ça ne naît pas d’une volonté de promouvoir ce qu’il se passe par ici. Il y a des choses intéressantes ailleurs. Quand on retourne en 2013, certains territoires étaient encore peu explorés. Il se passait énormément de choses en Russie, en Ukraine… Lorsqu’on allait chercher des groupes égyptiens, c’était plutôt inattendu. Aujourd’hui, il existe une scène égyptienne, libanaise, beaucoup de rapports tissés entre Le Caire, Beyrouth et le Moyen-Orient de manière générale. Pareil pour l’Europe de l’Est, l’Amérique latine… Des plateformes comme Soundcloud ont contribué à rendre accessibles ces artistes confidentiels.
Comment Myriam travaille-t-elle pour les visuels ?
Son idée au démarrage c’était de faire du sur-mesure pour chaque album, une identité visuelle mouvante qui laisse de l’espace pour chaque artiste. C’est pour ça qu’il n’y a pas de charte ou de logo figé sur les pochettes, juste le signe le signe æ typographié différemment selon le principe graphique de chaque album.
Elle pensait que, bien que protéiforme, une idée visuelle se dessinerait en creux, par l’empilement de formes, par la multiplication de principes discrets mais récurrents : des déplacements de codes, des effets de décalage, des associations… Mais elle a aussi amené l’idée qu’Anywave pouvait s’ouvrir à d’autres champs que la musique. Elle travaille de son côté avec des plasticiens et elle a injecté cela dans le label. On a sorti des livres et des vidéos d’artistes (Julien Carreyn, Raphael Lugassy ou Laura Gozlan), qui sont liés à la musique mais qui n’en sont pas l’illustration. Le plus intéressant pour nous, c’est d’avoir permis à des musiciens et des artistes de tisser des liens. C’est le cas par exemple entre Bad News from Cosmos et Julien Carreyn. Ils sont même partis en résidence tourner des vidéos au vent des forêts, un centre d’art dans la Meuse.
Allez-vous refaire des projets transversaux comme L’Atelier des filles ?
À l’initiative de ce projet il y a le musicien portugais Jorge Mantas. Il avait adoré L’Atelier des filles, un livre de Julien Carreyn que Myriam avait designé et qu’on a co-édité avec la galerie Crèvecœur. Jorge m’avait envoyé un mail avec un lien vers sa musique. Il avait écrit toute une musique à partir du livre : des nappes de guitare à perte de vue, très belles. Julien Carreyn n’avait pas imaginé ce genre de musique pour illustrer son livre mais il adore l’ambient et a beaucoup aimé la proposition. On a donc décidé de sortir la musique et Julien Carreyn a monté une vidéo d’une vingtaine de minutes à partir d’images issues de son livre, et qui a été projetée à la galerie Crèvecoeur.
C’était une expérience grandiose. Jorge était venu spécialement à Paris. Il a reproduit son album en live sans guitares, juste des séquences et une table de mixage, en découvrant la vidéo. On avait bricolé un système son pour sonoriser la galerie. Le contexte était si particulier que ça ne pouvait se passer ailleurs. Ça n’avait pas de sens de le faire jouer dans une salle de concert. C’est la seule fois où l’on a vu Jorge jouer. C’est marrant ce processus, cette chaîne d’inspiration par rapport à un seul matériau de départ.
Pourquoi choisir de faire des co-productions ?
On le fait parce qu’on est un label de fauchés. On est tous bénévoles, on est nuls en marketing, autant dire qu’on est loin de décrocher une pub pour Evian. Mon fantasme à la base était de faire une synchro pour Audi, je ne sais pas pourquoi, j’avais un trip sur Audi. Ça m’est complètement passé. Mais c’est aussi un choix éthique, on ne va pas aller collaborer avec des multinationales alors que c’est tout ce qu’on ne défend pas. Cela dit, c’est une forme de mécénat déguisé qui peut permettre de faire vivre des projets et des musiciens. Je suis un peu ambivalent sur le sujet.
Pour les sorties chères, nous sommes incapables de lancer seuls un vinyle. C’est la raison pour laquelle nous privilégions souvent le CD. Pour People of Nothing, l’artiste a financé lui-même le 12 », et on s’est occupé du reste. A l’époque on sortait près de trois œuvres par an, avec des ventes microscopiques.
Puis Schonwald nous a sollicités pour sortir leur second album en 2013. Ils avaient déjà un énorme public en Europe et vendu à plus de 1 500 vinyles. Ils tournaient beaucoup, entre 50 et 100 dates par an, avec une vraie fanbase dans le milieu goth. Ils ont accroché avec l’esthétique de Myriam et nous ont demandé si on voulait travailler avec eux. C’était assez flatteur pour une petite structure comme la nôtre. On était partants mais on avait besoin d’aide et Manic Depression nous a prêté main forte. On choisit les labels principalement par réseau, des gens avec lesquels nous sommes à l’aise, par exemple Lentonia, Montagne Sacrée, Ateliers Ciseaux.
Comment se prépare l’avenir du label ?
On réfléchit à des processus esthétiques pour être plus facilement identifiable étant donné que nous n’avons rien sorti pendant une très longue période. On est revenus avec le deuxième album de Fléau qui a été notre plus grosse sortie. C’est un album qui a mis beaucoup de temps à se faire. Nous avons compris à ce moment-là que le vinyle était une vraie contrainte – qui mobilise tous nos moyens. Le vrai problème pour nous est de dormir avec des stocks de vinyles pendant des années. J’en ai plein à la maison, sous le lit, dans mon studio. Nos artistes tournent peu ou pas du tout, et ça limite les ventes en concerts. Personne ne s’y retrouve dans l’histoire. Ça ne m’intéresse plus tellement de faire du vinyle. J’ai aussi envie d’avoir la possibilité de produire des albums dont nous vendrons 30 exemplaires maximum. On passe parfois sur la cassette, format que j’adore. Le son est bon, ça ne prend pas de place et on peut le produire en trente exemplaires. Les CDs ça me botte aussi. Je suis de la génération CD, mais ça ne parle pas à tout le monde. On essaie donc de mettre sur pied une nouvelle économie du label.
Pour le reste, la dernière compilation sortie en décembre nous a pris un an et demi à produire. Normalement, il s’agit de la dernière de la série, mais il se peut qu’on lance une autre série, sur un autre principe et avec des contraintes différentes.
Qui avez-vous choisi pour votre carte blanche au Garage MU Festival ?
PanSTARRS, un groupe égyptien qui fait du post-punk chanté en arabe, dont on sort le nouvel album début juillet. Youssef Abouzeid [fondateur du groupe] a sorti un EP l’an dernier sur HIZZ Records, Captain Solo, magnifique. On a également choisi Die Ufer, le projet commun de Volcan et Hørd, notre tropisme bordelais ; et Border Menace, un musicien australien établi à Berlin dont on a sorti un morceau sur la dernière compilation. PanSTARRS on ne les a jamais rencontrés, même si on a beaucoup échangé par mail. C’est très compliqué pour eux de venir en Europe au niveau administratif, et même de sortir d’Egypte en fait.