Politiques de la fête : 8 questions à Comme Nous Brûlons et Polychrome

Fougue, fête et engagement : un entretien croisé avec Comme Nous Brûlons et Polychrome, les deux collectifs parisiens qui repensent le genre, le corps et la sexualité.

Comme Nous Brûlons et Polychrome ne cessent depuis leurs débuts – environ trois ans pour les premiers et près de huit ans pour les seconds – d’attirer un public toujours plus large et d’agréger de véritables communautés autour d’eux. S’ils questionnent notre rapport au corps, notre sexualité et même nos désirs, ils laissent libre cours aux expressions et aux diverses possibilités au travers de conférences, d’ateliers, ou même de soirées.

Fondé autour de plusieurs collectifs, Comme Nous Brûlons s’affaire à offrir une meilleure visibilité aux femmes et aux minorités de genre dans les circuits indépendants de diffusion de la musique. Lors de leurs événements, des femmes, des trans, des queer se succèdent aux platines, au micro ou derrière leurs machines. Après la première édition de leur festival incandescent, les organisat·eur·rices ont perpétué leurs activités et n’ont cessé d’abreuver les soirées parisiennes par des dj set, des lives et des performances de qualité résolument tolérantes et engagées, y compris dans les locaux de La Station.

À rebours, Polychrome, une association LGBT, a émergé dans les couloirs de cette institution qu’est l’École du Louvre. Abreuvés jour après jour d’une iconographie tenue pour acquise, les membres de Polychrome ont cherché à poser un regard critique et offrir une nouvelle grille de lecture pour ces toiles, ces sculptures, ces oeuvres d’art que l’on vous somme de connaître de fond en comble sans jamais les questionner. Même s’il existe un certain nombre d’associations LGBT sur le territoire francilien, rares sont celles qui se consacrent à leur orientation culturelle. C’est pourquoi ils ont décidé de prendre le contre-pied et d’organiser des conférences avec des chercheurs autour de thématiques allant des porn-studies au bondage en passant par la représentation des femmes ou des sorcières. En parallèle, ils proposent des ateliers à la Mutinerie ou des visites d’exposition, où chacun·e est invité·e à échanger ses points de vue, son appréciation ou son désamour, à l’image de leur “Dérive-visite” en 2018 au musée de la Chasse et de la Nature pour l’exposition “Beau Doublé , Monsieur le Marquis !” de Sophie Calle et Serena Carone. Sous ces élans très encadrés, les membres de Polychrome ne rechignent pas à la sollicitation de la fête et la turbulence des corps lors des Queer Station organisées à La Station – Gare des Mines.

Comme Nous Brûlons et Polychrome se fondent tous deux sur une communauté qu’ils ont réussi à fédérer autour d’enjeux communs, de savoirs-faire et d’expériences. L’action collective favorise une transmission horizontale où chacun enrichit l’autre et fait perdurer des idées et des actions novatrices et solidaires.

Rencontre avec l’équipe de Comme Nous Brûlons et Alex de Polychrome autour des actions menées par leurs collectifs respectifs…

CNB © Gaelle Matata

Comment s’est créé le collectif ?

Alex : Il y a 8 ans à l’initiative d’ancien·ne·s élèves de l’école du Louvre, car il n’y avait pas de proposition pour s’ouvrir aux « marges » de l’histoire de l’art dans cette école, pas de « contre-pouvoir » à ce que les élèves pouvaient apprendre dans les cours magistraux officiels. C’était aussi une façon de visibiliser les minorités présentes dans l’école, de construire et de valoriser une culture commune à travers des conférences ou visites d’expo.

CNB : Tout a commencé en janvier 2017, un dimanche après-midi. Nous nous sommes retrouvé·e·s à quarante dans un salon, à Aubervilliers. Il y avait des filles de la Brigade du Stupre, de Retard magazine et des Amours alternatives, trois collectifs féministes indépendants mais aussi des soeurs non encartées. En pleine gueule de bois, une idée a germé : « Et si on créait notre propre festival ? ». Certaines travaillaient pour le collectif MU, qui a décidé (merci à eux) d’accueillir la première édition du festival à l’aune de l’été 2017 à La Station Gare des Mines. En tout, aujourd’hui, on est une petite vingtaine à faire feu au sein du collectif.

Pourquoi un collectif sur le genre, le féminisme, la sexualité et la représentation du corps ?

Alex : C’est un questionnement qui part du fait qu’il y avait une volonté de faire une asso LGBT en évitant à tout prix les schémas excluants de nombreuses associations ou projets communautaires qui sont en fait gay, masculinistes et racistes. La culture queer féministe était encore assez timide à l’époque et avait beaucoup de sens pour nous. Ça paraissait plus subversif qu’aujourd’hui. Comme nous faisions partie d’une école d’histoire de l’Art, c’est surtout les représentations, quelles qu’elles soient, que nous voulions décortiquer.

CNB: Car ces thèmes sont au coeur de nos existences et de nos luttes, nous sommes tou·te·s de près ou de loin concerné·e·s par ça et créer ce collectif c’est aussi chercher à tisser des liens de sororité et de soutien entre nous. S’emparer de ces sujets, leur donner une place et une visibilité dans un monde hétérocentré et patriarcal, c’est primordial et politique. Nous avons besoin de créer des espaces où les femmes, les queers et autres minorités peuvent faire entendre leurs voix, échanger et partager leurs visions et leurs expériences. Nous avons aussi besoin d’espaces où nos sexualités, nos vies, nos corps peuvent trouver la force et la place pour s’exprimer.

Comment fonctionnez-vous ?

Alex : Par pôles (Communication / Cinéma / Visite / Atelier / Soirée / Conférence…). Chacun fait de la veille et mène ses recherches pour en faire part sur un groupe en ligne et en réunion, chez les uns ou les autres environ une fois pas mois ou plus si nécessaire. Puis on prend les décisions avec l’accord de tou·te·s et c’est parti.

CNB : On fonctionne en hiérarchie horizontale, avec une organisation par « pôles » : chaque membre met à contribution ses savoir-faire et son énergie dans le(s) pôle(s) qu’il·elle souhaite investir. Côté artistique et culturel, ça signifie atelier-performance, conférence, musique, exposition, théâtre, cinéma. Côté organisation, c’est la production, les bénévoles, la communication. Comme chacun.e est dans plusieurs pôles, ça permet un passage d’informations et une mutualisation des compétences.

Polychrome: Queer Station © Otto Zinsou
Quelles sont les actions menées ?

Alex : Nous proposons à nos adhérent.e.s des ateliers, des visites d’expo, des projections, des conférences, des soirées, des ateliers, chaque proposition ayant pour but de questionner les représentations dominantes et de montrer ou faire parler ce que le pouvoir, gouvernemental ou patriarcal par exemple, veut ou a voulu invisibiliser, souvent de manière systémique/indirecte.

CNB : Comme Nous Brûlons s’est constitué sous forme de festival, pour ouvrir des espaces de visibilités et d’expression féministe aux personnes meufs, gouines, trans et queers, bien trop souvent sous représenté.e.s. Notre volonté est aussi de créer une communauté pour stimuler les échanges : de points de vue, de savoir-faire, de compétence et d’expérience.s. Après la deuxième édition du festival, on a été sollicité.e.s par différentes entités afin de programmer des artistes de notre choix : Le Festival How To Love au Petit Bain pour une collaboration avec le collectif Roumain CORP, Barbieturix pour la Wet For Me, La Gaîté lyrique dans le cadre de leur temps fort Computer Grrrls. Cette dernière soirée c’est d’ailleurs samedi 20 avril : auto-promotion !

Vous connaissez CNB / Polychrome ?

Alex : Oui on a voulu faire des choses ensemble mais c’était jamais le bon moment malheureusement… On a juste pu inviter Ubu Noire à une soirée au Chinois 🙂

CNB : Oui bien sûr ! Le lieu qui nous rassemble, nous ressemble et surtout nous soutient c’est La Station – Gare des Mines. Nous sommes souvent présents aux événements des uns et des autres.

Quelle est la réaction du public face à cet éclatement des représentations et la pluralité qu’il engendre ?

Alex : Beaucoup de réactions positives car nous essayons de montrer des choses qui peuvent paraître nouvelles ou intrigantes et peuvent aussi donner ce sentiment réjouissant de « ne pas être pris·e pour un·e idiot·e ». C’est aussi, si on digère l’ensemble, l’idée de donner des outils intéressants pour déconstruire son quotidien et trouver une voix pour son émancipation personnelle. Nous essayons d’aborder des sujets qui évitent les formatages, surprennent et sont encourageants dans leurs manières de montrer qu’autre chose, ou du moins une autre lecture de ce qui nous entoure est toujours possible !

CNB : A vrai dire tout dépend du public. Forcément cela engendre des questions, des discussions et des débats mais cela reste bienveillant. Disons, que le public qui vient sur nos événements est d’ores et déjà sensibilisé à ces questions donc cela ne crée pas d’onde de choc dans leur système de représentations. Néanmoins, l’année dernière lors de notre soirée « club » du vendredi nuit, certaines personnes ont eu des comportements clairement déplacés envers une partie du public notamment trans et de certaines des artistes. Il avait fallu les recadrer à plusieurs reprises sur la notion d’espace safe. C’est une vraie question qui nous taraude : la prévention des comportements irrespectueux au sein du public présent.

Avez-vous dû faire face à des difficultés, des refus lors de la mise en place de vos activités ?

Alex : Pas tellement, car nous fonctionnons principalement avec des « allié·e·s ». Parfois on fait face à une incompréhension ou une réticence sur les sujets sexuels, mais ce n’est jamais méchant.

CNB : Le collectif est encore jeune et La Station – Gare des Mines où a lieu le festival est d’un grand soutien et donc sans entrave à notre travail. Évidemment en tant que festival indépendant et militant, nous nous heurtons à des questions budgétaires inhérentes au montage de projets de ce type. Sinon, on peut dire que travailler à 20 personnes de façon plutôt horizontale n’est pas un pari gagné d’avance !

Pour l’instant vous œuvrez essentiellement sur Paris, envisagez-vous un jour de développer vos activités en dehors ?

Alex : On reste ouvert·e·s, oui ! Par ailleurs, c’est vrai que Polychrome est en baisse de régime depuis l’an dernier, donc on verra bien.. 🙂

CNB : C’est en question! Nous avons été contactées par une programmatrice à Marseille par exemple mais rien de concret pour le moment. Le festival et les activités annexes sur cette saison nous prennent tout notre temps. Mais on est ouvertes, l’invisibilisation est partout !

Le 20 avril prochain, les membres de Comme Nous Brûlons auront carte blanche à la Gaîté lyrique dans le cadre d’une soirée “Computer Grrrls” où seront programmé·e·s Gazelle Twin, Rkss, Hante, Kritzkoùm tandis que les Polychrome reviendront le 21 juin à La Station pour la septième édition de la Queer Station.